Récits
Confessions
Essaim
Il sortait du petit bâtiment en bois, au fond du jardin dans lequel bourdonnaient cinq ruches alignées côte à côte. On y respirait une agréable odeur de pin, de cire, de propolis, de miel et de chaleur d’abeilles. Mon père m’avait montré les rayons vides, les alvéoles de couvain, les réserves de miel et la reine entourée de sa cour empressée.
Un soir, il m’a aussi nommé le grand paon de nuit qui se cognait à la vitre de la cuisine, une autre fois le machaon multicolore et lumineux comme un soleil et la modeste piéride du chou, l’aile ornée d’un simple point noir.
Il m’a fait compter les pétales de la fleur du radis, observer la forme du parasol du persil « monté » mais je ne voyais pas l’intérêt de savoir qu’il s’agissait de crucifères et d’ombellifères. Je m’en suis pourtant étonnement souvenu !
Il m’a aussi appris à respecter les livres comme ceux qui s’alignaient en rangs serrés sur les rayons de sa bibliothèque et les lourds dictionnaires sur les étagères du milieu. Depuis, j’ai vécu, fi du temps et de l’espace, le mystérieux dialogue, la communication, la communion parfois d’âme à âme avec tant d’auteurs, Homère, Saint Jean et son Apocalypse et l’almanach Vermot. Même si je n’ai pas toujours bien compris.
Et quand tombait la nuit, ma mère m’enseignait les premières prières, et aussi la patience, la persévérance, la valeur du travail, la beauté des choses, le regard sur le monde, la richesse des fleurs et la magnificence du soleil.
J’ai beaucoup appris au spectacle du village. Les vaches revenaient du parc en rangs serrés pour la traite du soir, encadrées par les chiens que j’ai toujours craints, les lourds chevaux trainaient d’énormes charretées de foin, les goujons et les écrevisses se cachaient dans le ruisseau. Il arrivait aussi qu’un paysan arrime une vache au travail se dressant au milieu du village, on y amenait un taureau mugissant pour leur accouplement public. J’ai aussi assisté, par une froide journée de novembre, au trépas d’un cochon, les cris, l’affairement des hommes et des femmes, le sang, le dépeçage de l’animal.
Je regardais quelques fois avec curiosité passer, s’appuyant sur un gros bâton noueux, Monsieur Clément, le doyen du village que j’imaginais centenaire. Un siècle devant mes yeux ! Que de souvenirs, d’histoires, d’aventures vécues, de personnes rencontrées …. Mais il ne m’a jamais parlé et je n’en ai jamais rien connu !
Il y avait aussi le curé, en soutane noire, le maître d’école en blouse grise, les paysans en gros velours côtelé et chaussures ferrées, les paysannes en tablier et fichu sur la tête, les garçons de mon âge, de mon école, mais encore les filles si mystérieuses avec leurs chuchotements et leurs rires clairs !
Passent les mois, passent les années, l’enfant grandit.
Puis vient le jour où l’essaim quitte la ruche et s’envole à la découverte
d’autres scènes,
d’autres rivages,
d’autres personnes,
d’autres chemins,
d’autres cieux,
un nouvel horizon.