L'âne Dits de l'âne doré

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Contes

Le pépiniériste


Il était une fois un jeune couple qui avait reçu en héritage une petite maison et un lopin de terre attenant.
Ils vivaient heureux, humant avec délices l'air embaumé des matins de printemps, se halant au soleil de l'été, admirant la forêt mordorée quand venait l'automne, traçant, serrés l'un contre l'autre, des chemins parallèles dans la neige crissante et scintillante sous les étoiles de Noël.

Après quelques mois de ce bonheur discret ils convinrent qu'ils pouvaient, eux aussi, participer à cette vie qui se manifestait autour d'eux.
- Nous avons là un bon champ fertile, dirent-ils, il serait dommage de le laisser inculte; allons à la ville pour y chercher un arbre et nous le planterons.
Ils descendirent donc à la ville et se rendirent chez le pépiniériste.
- Nous voudrions un bel arbre, demandèrent-ils, un beau plant que nous dresserons dans notre petit champ.
Le pépiniériste leur offrit un petit scion bien droit, au tronc lisse, choisi avec soin.
La route du retour se fit dans la joie; leur tête était pleine de projets et d'images.
- Nous devrons bien choisir l'emplacement, disaient-ils, préparer la terre, bêcher, ameublir le sol, l'amender, planter le scion bien droit, lui mettre un tuteur, l'abriter du vent et des grands froids.
Tout cela ils le firent dans l'allégresse et l'arbre commença à croître dans le sol profond. C'était un châtaignier et, tous les jours que Dieu fait, ils s'affairaient consciencieusement à l'entretien du petit arbre.

Cet arbre est bien seul, constatèrent ils un jour. Retournons à la ville pour avoir un autre plant.
Le pépiniériste ne se fit pas prier.
Un autre petit arbre s'élève maintenant non loin du châtaignier et il bénéficie des mêmes soins attentifs que son aîné.
C'est un figuier qui, calmement, étend ses racines dans la terre humide et draine la sève vers ses jeunes rameaux.

Ils n'étaient pas avares de leurs efforts et c'était un plaisir de les voir soigner leurs arbres. Tous les jours ils les regardaient d'un oeil critique, élaguant par ci, consolidant par là, arrosant quand le vent sec desséchait l'air, retournant le sol au pied du tronc pour y laisser pénétrer la pluie nourricière.

Quand ils allaient à la ville, ils rendaient souvent visite au pépiniériste. Ils s'entretenaient avec lui de leurs deux arbres, racontaient avec fierté comme ils devenaient beaux, comme ils devenaient forts. Le pépiniériste se réjouissait avec eux car il savait, lui, que les plants étaient de bonne qualité, et il faisait confiance à ces jeunes amis. Souvent, il leur proposait de choisir un autre plant mais ils n'en voulaient pas. Mais, depuis qu'il les connaissait, il avait pu mesurer leur vaillance et un jour, subrepticement, il glissa un nouveau plant dans leur cabas.
Sur le chemin du retour, ils découvrirent ce cadeau inattendu qui gonflait leur besace. Ils se chamaillèrent un peu sur le sort à lui réserver.
- Qu'allons nous faire de ce nouveau venu, demandèrent ils ? Nous sommes déjà fort occupés ! Y a-t-il assez de place à coté des deux arbustes ? Nous ne pouvons pas l'abandonner là, au bord du chemin !
Le début du voyage fut lourd et douloureux. Cependant, au fur et à mesure qu'ils approchaient de leur maison, le courage leur revint et ils commencèrent à former des projets de plus en plus précis pour cet innocent petit bout de vie qui dansait dans leur sac.
Quand ils arrivèrent chez eux, tout était déjà décidé !
Ils choisirent un endroit abrité du vent, au pied du mur le mieux exposé; ils y creusèrent un profond sillon, l'amendèrent généreusement et y plantèrent le frêle scion. C'était une vigne.

Les années laborieuses se sont succédées. Le vent violent les a souvent tenus éveillés et ils sont ressortis pour affermir les tuteurs. Ils ont abrité les fragiles arbustes quand la bise glaciale a soufflé, ils les ont pansés, ont étalé du baume sur leur écorce mordue par la maladie.

Le châtaignier est devenu un grand arbre bien droit, fier et solide, qui domine tous les arbres des alentours, procurant un refuge à de bruyantes et joyeuses colonies d'oiseaux. Et quand souffle le vent du nord, il protège la petite maison et ses occupants.

Le figuier a le tronc vigoureux et de larges feuilles. Promis a une longue existence généreuse, il fournit de nombreux fruits sucrés, fortifiants, pulpeux à souhait et ils aiment, lorsque le soleil se fait ardent, s'asseoir à son ombre.

Mais celle qu'ils affectionnent, c'est leur vigne généreuse. Ils la caressent du regard quand ses feuilles bruissent à la brise du soir. Elle leur apporte des grappes dorées qui parent leur table et un nectar ambré qu'ils savourent seuls, le soir, avec quelques larmes émues, quand s'approche la nuit.