Récits
Contes
L'âne doré
Vincent mit l’âne dans le pré. Quatre pattes robustes, musclées, bien droites, chaussées de sabots luisants, rompues par les sentiers rocailleux des montagnes, le sable fuyant des déserts et qui appréciaient dorénavant le sol souple et l’herbe tendre de la prairie. Deux oreilles dressées à l’écoute du vent du nord sifflant au travers des branches des sapins lourdes de neige, du vent d’autan humide et inlassable, du fœhn d’automne dévalant la montagne, du cers violent et déstabilisant, du sirocco brûlant et assoiffant, à l’écoute du maître qui commande, encourage, appelle et parle doucement comme aujourd’hui.
On l’avait nommé Herculos. Non pas qu’il fût d’un force exceptionnelle mais en raison des innombrables et lourdes charges qu’il avait transportées par tous les chemins du monde, qui lui avaient meurtris les flancs et maintes fois brisé les reins, valu d'avoir "l'os de l'échine usé par la boucle du bât ". Mais Herculos est maintenant un vieil âne et Vincent un vieil homme.
Et lorsqu'il s'arrête au coté de son vieux serviteur debout serein dans l'herbe verte, lorsque la brise du soir lui caresse le visage, Vincent croit entendre le vieil Herculos lui conter la saga des ânes.
Il lui parle de la grande diversité de sa fratrie, le baudet du Poitou, le grand noir du Berry, le petit du Cotentin, ceux de Provence et ceux des Pyrénées et l'âne blanc d'Egypte et peut-être en est il des descendants d’Ajax ! Et de tous ceux qui, marqués sur le dos de la mystérieuse croix de Saint André sont à l'origine de tant de légendes.
Il évoque leurs nombreux bâtards, mules et mulets, bardotes et bardots et ses cousins les onagres d'Asie.
Et il ne manque pas de parler des ânes obscurs qui participèrent à de glorieuses aventures :"Voici que ton Roi vient à toi; modeste, il monte une ânesse et un ânon, petit d'une bête de somme"
C'est vrai qu'il y en eût un qui se glorifia de porter des reliques (Un baudet chargé de reliques s'imagine qu'on l'adorait), un autre se prit pour un roi - mais la supercherie ne dura guère - : " De la peau du lion l'âne s'étant vêtu était craint partout à la ronde .... Un petit bout d'oreille ...", et il y eut même un pseudo artiste peintre qui signa de sa queue un BORONALI !
Mais combien d'autres périrent sans la moindre compassion, pas même celle du compagnon d'infortune, le cheval "peu courtois" (Et le pauvre baudet si chargé qu'il succombe)
Et les oubliés des grandes caravanes, obscurs porteurs qui changent de maîtres au gré des razzias, mais restent esclaves : "ils razzièrent les troupeaux des Hagrites, 50.000 chameaux, 250.000 têtes de petit bétail, 2.000 ânes et 100.000 personnes ..."..
Debout sur le pas de la porte, Vincent observe au fond du pré, l’âne Herculos assis, face au couchant. Il hume l’air parfumé de ce soir d’automne, de ses oreilles dressées il écoute le murmure du soleil, rêve d’un festin de roses, promesse de métamorphose , laisse ses longs rayons obliques lui réchauffer les os et l'envelopper d’un somptueux habit de lumière dorée.