L'âne Dits de l'âne doré

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Contes

Le colvert

Les voyageurs qui empruntaient la grande route menant à la ville traversaient très rapidement l'épaisse forêt sans remarquer, en haut de la côte, le chemin partant vers la gauche au travers des grands sapins noirs.
S'ils avaient suivi ce chemin ils auraient découvert, environ deux lieues plus loin, un tout petit village au bord d'un grand étang. Le chemin n'allait pas plus loin et personne ne venait jamais dans ce hameau ignoré où tout le monde vivait tranquillement et en paix.
Au bord de l'étang il y avait une maisonnette dans laquelle vivait un vieux monsieur. Il se tenait droit comme un chêne, avait un visage buriné par le soleil, envahi d'une épaisse barbe grise au-dessus de laquelle pétillaient deux yeux malicieux qui reflétaient une grande douceur.
Personne ne connaissait plus son nom, car tout le monde l'appelait "l'homme qui parle au canard". Et c'était bien vrai ! Il vivait depuis si longtemps au bord de l'eau, avait tant écouté le cancan des canards sauvages nichant dans les roseaux, qu'il en avait appris le langage et souvent, il conversait avec un canard gris qui venait le voir.
- Coin coin coin, nasillait le canard, il y a ici de gros vers bien gras dans la vase ...
- Coin coin coin, répondait l'homme qui parlait aux canards, je vois à l'horizon venir de gros nuages noirs. Il va pleuvoir et faire un temps de canard !
Et la vie s'écoulait paisiblement dans le village.
Au milieu du hameau, une petite maison était blottie contre l'église. Elle abritait un petit garçon et sa maman.
Un jour où il n'y avait pas d'école, après avoir fait ses devoirs et appris ses leçons, le petit garçon demanda à sa maman la permission d'aller jouer dehors.
- Enfile ton pull et vas jouer dehors mais ne t'éloigne pas, lui recommanda-t-elle.
Le petit garçon enfila son tricot et sortit jouer. Il observa les grenouilles assises sur les nénuphars, tenta de capturer des têtards, poursuivit une libellule, puis un papillon ... Il remarqua ensuite de belles fleurs et entreprit de confectionner un bouquet pour sa maman. Il vit une jolie fleur rouge, une bleue et plus loin encore une jaune d'or et d'autres fleurs plus belles les unes que les autres. Mais quand son bouquet fut achevé, il s’aperçut qu'il s’était égaré dans la forêt. Il marcha, courut, trébucha, tomba et se perdit encore plus en s'enfonçant sous les arbres.
Quand arriva l'heure du repas, sa maman appela son petit garçon. Mais il ne répondit pas. Rapidement, tout le village sut que le petit garçon avait disparu. Et l'on craignit qu'il se soit égaré dans les roseaux, ou pis, tombé dans l'étang, car on l'avait vu jouer au bord de l’eau.
Mais, comme on ne l’y trouvait pas, on demanda au monsieur qui parlait aux canards de solliciter leur aide.
- Coin coin coin, cria le monsieur qui parlait aux canards en appelant le canard gris, le petit garçon s'est perdu dans les roseaux, voulez-vous nous aider à le chercher ?
- Coin coin coin, répondit le canard gris, je préviens toute ma famille et nous allons le chercher.
- Coin coin coin, cherchons bien, dans les roseaux et même au fond de l'eau ...
Ils sillonnèrent la roselière dans tous les sens mais sans trouver le petit garçon.
Un daim vint s'abreuver dans l'étang.
- Bèè bèè bèè, demanda-t-il au canard, pourquoi faites-vous tout ce bruit ?
- Coin coin coin, dit le canard, le petit garçon s'est perdu et nous le cherchons mais nous ne l'avons pas trouvé. Veux tu nous aider ?
Le daim prévint sa famille et ils parcoururent à grands bonds la plaine et les champs.
Mais ils ne trouvèrent pas le petit garçon.
- Chnourr chnourr chnourr, demanda le sanglier au daim, pourquoi courez-vous ainsi ?
- Bèè bèè bèè, expliqua le daim, le petit garçon s'est perdu. C'est le monsieur qui parle aux canards qui l'a dit au canard et le canard me l'a dit. Veux tu nous aider à le chercher ?
- Chnourr chnourr chnourr, dit le sanglier, je préviens ma famille et nous allons chercher le petit garçon.
Et il s’enfonça à grands fracas avec sa harde dans les buissons épineux. Mais ils ne trouvèrent pas le petit garçon.
- Ouah ouah ouah, demanda le renard au sanglier, pourquoi courez-vous ainsi ?
- Chnourr chnourr chnourr, dit le sanglier, le petit garçon s'est perdu. C'est le monsieur qui parle aux canards qui l’a dit au canard qui l'a dit au daim qui me l'a dit. Veux tu nous aider à le chercher ?
- Ouah ouah ouah, dit le renard, nous allons chercher le petit garçon.
Il prévint toute sa famille et ils partirent en trottinant, explorant tous les ravins de la forêt. Mais ils ne le trouvèrent pas.
- Aouououh aouououh aouououh, demanda le loup au renard, où courez-vous ainsi ?
- Ouah ouah ouah, dit le renard, le petit garçon s'est perdu. C'est le monsieur qui parle aux canards qui l'a dit au canard qui l’a dit au daim qui l'a dit au sanglier qui me l'a dit. Veux tu nous aider à le chercher ?
- Aouououh aouououh aouououh, dit le loup, je préviens ma famille et nous allons le chercher.
Et ils entreprirent de fouiller la forêt jusque dans ses coins les plus sombres et soudain, sous les grands sapins noirs, ils découvrirent le petit garçon. Il avait les genoux tout écorchés, les fleurs cueillies avec amour étaient éparpillées sur le sol et le petit garçon s'était endormi après avoir beaucoup pleuré.
- Aouououh aouououh aouououh, hurla le loup, nous avons trouvé le petit garçon, il est ici !
Le petit garçon s'était réveillé et il caressait la grosse tête du loup qui remuait de plaisir sa queue touffue.
- Aouououh aouououh aouououh, cria encore le loup, venez le rechercher !
- Ouah ouah ouah, glapit le renard, le loup dit qu'il a trouvé le garçon, il faut aller le rechercher !
- Chnourr chnourr chnourr, grommela le sanglier, le renard a dit que le loup a dit qu'il a trouvé le petit garçon, il faut aller le rechercher !
- Bèè bèè bèè, aboya le daim, le sanglier a dit que le renard a dit que le loup a dit qu'il avait retrouvé le petit garçon, il faut aller le rechercher !
- Coin coin coin, cancana le canard au monsieur qui parlait aux canards, le daim a dit que le sanglier a dit que le renard a dit que le loup a dit qu’il a trouvé le petit garçon. Il faut aller le rechercher !
L'homme qui parlait aux canards réunit alors quelques hommes du village et ils partirent en s'enfonçant dans la forêt dans la direction des appels du loup. Et ils trouvèrent le petit garçon ... mais ne virent pas, derrière un épais fourré, les yeux du loup qui brillaient du plaisir de voir le petit garçon retourner à son village et retrouver sa maman.
De retour à la maison la maman embrassa bien fort son petit garçon mais elle n'eut pas le courage de le gronder.
Quand le garçon sut que c’était grâce au monsieur qui parlait aux canards qu'il avait été retrouvé il voulut aller le remercier.
- Coin coin coin, appela le monsieur. Et le canard gris vint à sa rencontre.
Alors le petit garçon prit le canard gris dans ses bras et pour le remercier, et le reconnaître parmi les autres canards, il prit un morceau de laine de son pull tout effiloché et le noua autour du cou du canard. C'était de la laine verte.
- Coin coin coin, chanta le canard, regardez comme je suis beau ! ... et il s'envola par dessus l'étang.
Mais comme tous les canards, le canard gris plongeait souvent sa tête dans l'eau, tant et si bien que, petit à petit, le collier de laine verte déteignit.
C'est depuis cette époque que les descendants de ce canard gris ont un plumage chatoyant et surtout, la tête et le cou d'un vert éclatant.
Et c’est en souvenir de cette aventure qu'on les appelle des "colverts".