Regards
Fables
Un mur
Les grands lambeaux de crépi tombés, réduits en poussière, se sont mariés avec la terre ou envolés dans le vent.
C’est un assemblage hétéroclite de basalte noir éructé par un volcan, de granite bleu scintillant au soleil, de pierre de Jeumont dorée, parallélépipède qu’on a mis là parce qu’il était cassé dans un coin, de grès rose rêvant de montagne, et, tout en bas, un gros moellon difforme, sans nom, paisible, couché là comme un bâtard aux pieds de son maître.
Le mur se pare de l’éblouissement du soleil, des rayons argentés de la lune, chante avec l’ombre des merles, bergeronnettes, moineaux et mésanges qui le frôlent, esquisse un ballet coloré avec les papillons.
Le mur vit.
Des messieurs graves, cravate et costume trois pièces ont dit « Il est moche, ce mur ».
Des maçons, en treillis bleu casqués de jaune, ont amené leurs auges, truelles et taloches.
La nuit venue, casquette noire et visière sur la nuque, il a sorti de sa poche une bombe de peinture blanche : « LE MUR EST DERRIÈRE ».
Au matin, haussant les épaules et hochant la tête les passants ont dit :
- Quel scandale !
- Vandaliser un si joli mur…
- Et ça ne veut rien dire !
Une petite fille passant par là remarque une écaille dans le crépi frais. En quelques coups d’ongle elle retire la gangue et ramène à la lumière une minuscule face de pierre qu’elle caresse d’un doigt léger comme une plume en lui faisant l’aumône d’un sourire.
Le mur tout entier, alors, tressaille, un long frisson le parcourt, il ressuscite et, depuis, il attend, impatiemment que revienne la petite fille pour illuminer sa vie.