L'âne Dits de l'âne doré

Regards

Lieux

Santiago de Cuba

J’ai déserté un instant la chambre climatisée de l’hôtel de la « Cubanacan » à Santiago de Cuba. La terrasse domine la ville d’où montent des effluves complexes où semblent se mêler les mille essences de la végétation tropicale, la sueur, les fumées de la centrale thermique et de la sucrerie.
L’autobus climatisé nous a emmenés au cimetière Santa Ifigenia, à la maison Diego Velasquez, à la caserne Moncada, hauts lieux de l’histoire cubaine, de sa fondation jusqu’à nos jours. A chaque descente d’autobus, c’est le même attroupement de jeunes quémandant du savon, un stylo à bille, un dollar ou n’importe quoi. Ils nous suivent jusqu’à l’entrée des musées, on les retrouve à la sortie, ils nous accompagnent jusqu’à l’autobus et le guide écarte la cohorte envahissante.
Et nous voici à la cathédrale. Quelques quémandeurs pénètrent avec nous dans l’édifice. Pendant que j’observe une décoration un jeune s’approche et me demande un dollar. Je me retourne, offusqué.
- Pas ici, dans l’église !
Il se retire.
Installé dans un banc je regarde le chœur du sanctuaire et je revois ces images retransmises à la télévision, au cours du mois de janvier, quand le pape Jean Paul II est venu ici, dans cette ancienne cathédrale. Derrière moi, une gamine de seize ans m’interpelle discrètement d’une voix douce.
- Monsieur, tu veux dormir avec moi ?
Ce sont probablement les seuls mots qu’elle connaisse de notre langue. Que ne ferait-elle pas, pour vivre, cette petite prostituée de Santiago, lointaine descendante des esclaves enchaînes qu’on vendait tout près d’ici, sur la grande place.
Je suis dans la maison de Dieu. Et d’autres phrases me reviennent à l’esprit.
- Ma Maison est la Maison des pauvres et des mendiants. « Les filles de joie arrivent avant vous au royaume des cieux » (Mat. 21-31).
Toi, le mendiant, à qui j’ai refusé un dollar, toi, la petite prostituée, quand nous nous reverrons dans le Royaume, vous aurez une meilleure place que moi, j’en serai heureux et je ne saurais en être jaloux.